Infraction

Publié le par AACCE

L’autre jour, je me promenais dans la rue des Rosiers. Il faisait beau. C’était un samedi matin, pendant Pessah, et la rue était tranquille. Je marchais d’un bon pas tout en sifflant un air gai dont je ne me souviens plus exactement le titre. 

 Soudain, au coin de la rue Ferdinand Duval, deux rabbins m’interpellent. Des rabbins en tenue avec chapeau, redingote et tout le reste : tenue réglementaire, quoi. Je ne les avais pas vus car ils étaient masqués par un panneau publicitaire vantant les voyages en Israël.  - Vous, là, me dit l’un d’eux. Arrêtez-vous un instant. 

 - Pardon, fis-je tout étonné. 

 - C’est pour un contrôle, renchérit le second rabbin.  

- Un contrôle ?  

J’étais abasourdi.  

- Contrôle rabbinique, reprit le premier sur un ton péremptoire et en levant vers le ciel, un doigt implacable.   

Ne me laissant pas le temps de me remettre de ma surprise, il ajouta :   

- Vous avez vu à quelle vitesse vous avancez dans la rue des Rosiers ?   

- Mais... je...  

- Et en sifflant, en plus ! Un air profane !   

Silence de ma part. La réalité dépassait l’entendement.   

Le second rabbin intervint :  

- Excès de vitesse et tapage au moment de la prière !  

- C’est une blague ? demandai-je. 

- Ne discutez pas, on vous a vu. De plus vous venez de dépasser deux hassidim en train de discuter. Vous ne savez pas qu’il est interdit de dépasser des hassidim à cet endroit ? Et tout à l’heure, au coin de la rue Pavée, que s’est-il passé ?   

- Au coin de la rue Pavée ? 

- Oui, quelqu’un vous a parlé.  

- Ah oui, c’était un hassid qui me demandait d’assister à la prière.   

- Et vous avez refusé ?   

- Mais oui, je...   

- Participer au Minian est une règle prioritaire pour un Juif qui se respecte. Refus de priorité, vous êtes dans de beaux draps !   

Et voyant que je portais sous le bras un paquet enveloppé dans du papier journal, le second rabbin ajouta :   

- Montrez moi vos papiers. 

 Je déroulai le journal et mis à jour un superbe hareng gras.   

- Vous l’avez eu dans une charcuterie juive, me demanda-t-on. 

- Oui, bien entendu.   

- Et où l’emmenez-vous ?   

- Chez un ami, rue de Turenne.  

- Alors, comme ça, reprit le premier rabbin, vous obligez un hareng juif à voyager le jour du shabbat.  

C’était hallucinant. J’avais l’impression de vivre un mauvais rêve. Le monde était devenu fou autour de moi, ou peut-être l’était-il déjà depuis longtemps, et je ne m’en étais pas aperçu. 

- Ecoutez, commençais-je. Il y a là quelque chose que je ne comprends pas bien...   

Le premier rabbin m’interrompit :   

- Oh, mais dites donc, vous avez une drôle d’haleine. Soufflez un peu pour voir.  

Je soufflai mécaniquement.  

- Ah, c’est bien ce qu’il me semblait. Odeur de pain frais ! Pendant Pessah ! Votre compte est bon, mon pauvre.   

Excédé, je fis mine de partir.   

- Oh, pas la peine de chercher à fuir. On vous suivra. Inutile d’ajouter à tout ça un délit de fuite.  - Vous allez me suivre ?   

- Oui, oui.   

Soudain, j’eus une idée. Je plongeai mes mains dans mes poches et attrapai une poignée de petite monnaie. Puis, je pris un air mi-étonné, mi-angoissé.  

- Là, vous avez vu ?   

- Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? demandèrent-ils ensemble.  

- Vos mains, regardez vos mains.  

Les deux rabbins tendirent les mains pour tenter de voir ce qui n’existait pas. En un éclair, j’y déposai quelques pièces et lançai un petit salut.  

- Shalom shabbat, mes petits vieux ! Et attention, ne bougez pas d’un pas, On vous regarde, là-haut. Alors comme ça, on porte de l’argent, un jour pareil ?   

Et je m’esquivai rapidement.  

Depuis ce jour, je ralentis toujours un peu dans la rue des Rosiers, juste pour voir.

                                                                      Guy Perelman

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