Les Conseils juifs dans l’Europe allemande (*)

Publié le par AACCE

 

 

 

C’est une véritable somme que nous propose le numéro 185 de la Revue d’Histoire de la Shoah. Le sujet délicat et douloureux des Conseils Juifs dans l’Europe occupée par les Nazis, les fameux Judenräte, est traité dans une globalité pénétrante par les plus grands spécialistes de la question.
 
Comme on le sait, dès l’occupation des territoires européens qu’ils investirent par la force, les Nazis installèrent, en lieu et place des communautés juives organisées et souvent élues, des Conseils juifs qu’ils voulurent à leur entière soumission et qui s’avérèrent, hélas, souvent bien malgré eux, des acteurs du drame effroyable qui allait se nouer. Dès la fin de la Guerre, et même avant, s’est posée la question de savoir si ces Conseils avaient pêché par naïveté, croyant, par leur soumission, sauver tout ou partie de leurs administrés ou si, emportés par une volonté de puissance, ils se sont laissé bercer par l’illusion d’un pouvoir éphémère, l’appât du gain aussi, pour atteindre à la trahison. Un débat qui ne sera jamais clos car les deux opinions se retrouvent pour tous les pays et pour chacune des personnalités marquantes. L’avantage de l’étude monumentale qui nous est proposée, c’est qu’elle ouvre le débat et, par le biais d’une documentation aussi variée que pointilleuse, qu’elle permet à chacun, en fonction de ses sensibilités, de se faire une opinion.
 
Qu’il s’agisse de l’UGIF, en France, de l’AJB, en Belgique, du Joodshe Raad d’Amsterdam, de Hongrie, d’Union Soviétique, de Vienne, de Varsovie, de Lodz, de Vilnius ou encore de Salonique, on retrouve le même questionnement : ces Conseils ont-ils bien ou mal agi. Ont-ils été des instruments dociles ou des négociateurs habiles ?
Doron Rabinovici considère que « L’image qui devait demeurer gravée dans la mémoire des survivants n’était pas celle du « responsable des Juifs » de la Gestapo, mais celle du chef de la communauté juive. C’est ainsi que fut malmenée et brisée la confiance des victimes  en leurs propres dirigeants, dans le but d’empêcher toute révolte contre les bourreaux. La tactique nazie de la manœuvre de diversion était née, et elle continua de fonctionner après la victoire sur le Reich allemand ». Diversion. Le mot est lâché. Et c’est bien de cela qu’il s’agit. Les nazis ont réussi à faire croire aux dirigeants des Judenräte qu’ils avaient un besoin essentiel du travail juif quasi gratuit et qu’en échange, nombreux seraient ceux qui auraient, in fine, la vie sauve. Et les dirigeants juifs ont cru, à tort, mais qui pouvait imaginer la terrible vérité aux heures sombres de l’occupation allemande, qu’en sacrifiant quelques coreligionnaires, ils sauveraient l’essentiel. C’est le contraire qui s’est passé. Peut-on, cependant, le leur reprocher, d’autant plus que nombre d’entre eux, ont trouvé la mort, à leur tour, souvent dans des conditions atroces ?  Et si « finalement, ils aidèrent les assassins à atteindre leur but : la déportation de tous les Juifs », peut-on légitimement les désigner comme les « larbins juifs de la S.S. » alors qu’on ne doit pas « perdre de vue que ces hommes se battaient pour leur survie ».
 
Toujours selon Doron Rabinovici : « Pour les cadres de l’administration juive, il n’y avait pas d’alternative à la coopération. C’était un moindre mal. Ils espéraient sauver le plus de vies possible, quitte à en sacrifier d’autres ».
 
Parallèlement à l’examen du cas particulier de chaque pays, de chaque ville occupée, le portrait psychologique des dirigeants juifs dont certains furent, il faut le reconnaître, de véritables psychopathes, est très intéressant.
 
Et s’il n’y a pas grand-chose à dire de Josef Löwenherz de Vienne ou, même s’il fut controversé, de Mojzesz Merin, de Haute Silésie orientale, de Saby Saltiel et du Grand rabbin Zvi Koretz de Salonique  ou encore du rabbin hongrois Bela Berend, très controversé lui aussi  comment ne pas être ébahi par  la personnalité de Haïm Mordechaï Rumkowski, dont Hannah Arendt n’hésita pas, sévèrement à écrire qu’il « sauva exactement 1684 personnes au prix d’environ 476 000 victimes ». Sur ce personnage invraisemblable, Joanna Podolska estime que « le jugement porté sur Rumkowski demeure officiellement négatif, mais avec des nuances dans la condamnation ». Pour Primo Levi, « Ce n’est pas un monstre, et ce n’est pas non plus un homme ordinaire, cependant beaucoup, autour de nous, lui ressemblent ». Rumkowski, certes excellent administrateur, qui se faisait appeler « Le roi Haïm » ou « L’Empereur », se considérait, sans rire, comme le président du premier État juif depuis deux mille ans et fit émettre des timbres-poste à son effigie !  Personnage étonnant aussi que le Lituanien Yaacov Gens, que ses administrés, par dérision, surnommèrent Meyle’h Yakub der Ershter ( Le roi Jacob 1er) !
 
En tout état de cause, dit Jacek Leociak, le cas des Judenräte doit être disjoint de celui des collaborateurs dont l’archétype fut le Premier ministre fantoche de Norvège, Vidkun Quisling. C’est une évidence. Mais l’auteur prend soin, fort opportunément, de rappeler l’opinion de Maïmonide qui aurait pu faire autorité : « S’ils disent : « Donnez-nous l’un d’entre vous et nous le tuerons sinon nous vous tuerons tous », les Juifs doivent se laisser tuer tous et ne pas accepter de livrer ne serait-ce qu’un seul Juif à la mort »
 
Après la Guerre, des Jurys d’Honneur furent institués et certains dirigeants condamnés. Ce fut le cas, notamment de David Cohen et Abraham Assher à Amsterdam ou encore, en France, sous l’égide du CRIF entre 1944 et 1947, pour examiner le cas de dirigeants de l’UGIF.
 
Une lecture édifiante. Il faut être infiniment reconnaissant à Georges Bensoussan et à son équipe de nous proposer régulièrement des études exhaustives et de très grande qualité sur les sujets les plus divers concernant le drame de la Shoah.
 
 
Jean-Pierre Allali
 
 
(*) N° 185 de la Revue d’Histoire de la Shoah. Juillet-Décembre 2006. 584 pages.
19€

 http://www.crif.org/index.php?page=articles_display/detail&aid=8320&artyd=8  (klic klic)

 Transmis par Jean-Pierre

 

 

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