Cousin-Cousine

Publié le par AACCE

 

 Rien   ne   distingue   les   souvenirs   des   autres moments,    c'est   plus   tard   qu'ils   se   font reconnaître, à leurs cicatrices ( Kris Marker - La jetée )

 Ma femme me demanda un jour pourquoi je tenais tant à aller à l'enterrement d'un ami de mes parents. Je lui ai répondu qu'elle avait connu son arrière grand père alors que ma famille avait été réduite à mes seuls parents et à mes frères. Ces amis qui m'accueillaient si gentiment quand je passais les voir, ces amis avec qui nous partions en vacances, c'étaient mes oncles, mes tantes et leurs enfants mes cousins. Cette famille s'est agrandie dans les patronages et les groupes de jeunes qui suivirent. Le 14 rue de Paradis fut notre shtetel

 La CCE...

 J'y pensais quand Françoise Hardy chantait : Tous les garçons et les filles de mon âge ...

 J'y pensais quand Marie Laforêt chantait qu'Ivan, Boris, Natacha et quelques autres étaient tous amoureux les uns des autres, mais qu'au moment de se marier ils sont allés chercher ailleurs ce qu'ils avaient à portée de main ...

 Mais Serge Lama lui répondit "qu'on ne se marie pas entre cousins, tu sais .... "

 A un ami qui s'étonnait que ses enfants ne connaissaient plus cette amitié qui fut la nôtre je rapportais les propos que j'avais tenu à mon épouse; il en conclut que ses enfants avaient bouclé la boucle, et qu'ils n'avaient plus besoin de ça, le cercle de famille s'était reformé.

 Il nous manqua des grands parents. Ce mot fut lui aussi pendant longtemps une abstraction. Nous profitions parfois de ceux des autres .... "Mais des grands parents ce sont des gens qui ont le temps de nous écouter" m'expliqua un jour une petite fille. Alors des grands parents nous en avons eu beaucoup dans les patronages : Chaena, Anna, Louba, Sloves, que de patience vous avez eu avec nous ( plus particulièrement avec moi) et même chez nous, nos parents tailleurs, fourreurs .... nous recevaient dans leur atelier et nous écoutaient malgré le bruit des machines. ( Il faut reconnaître que peu d'enfants d'aujourd'hui ont cette chance. ) Nous écoutaient mais ne nous parlaient pas ou si peu de leur passé d'avant la France ou même seulement d'avant la guerre, et complice de l'indicible, j'ai laissé mourir une mémoire. Quand je lis Isaac Baasevich Singer, j'essaye de me l'imaginer; alors comment ne pas comprendre qu'ayant connu ce qu'ils ont connu, ils n'aient pas cru en des lendemains qui chantent ? Et ces derniers, ne les ont-ils pas bâtis pour nous ? Pour des émigrés de la deuxième génération, nous nous en tirons plutôt bien !

 Devenir éducateur, chères , si chères Chaena, Anna, Louba ... était naturel pour beaucoup d'entre nous : Nous avons tant reçu qu'il nous faut redonner.

 Je me souviens que, dans des jeux , nous nous qualifions par des titres de films. Cette période serait "Nous nous sommes tant aimés...", mais il n'y a eu nulle trahison. S'il le fallait, nous répondrions nous aussi "Nous sommes là! "

 Isaac Baasevich Singer, encore lui, racontant ses amis de jeunesse, terminait son chapitre par : "Seul le temps nous sépara. Son oeuvre fut achevée par les meurtriers allemands" Et nous ? Faut-il que le temps achève l'oeuvre du temps ?

 Maurice Gelbard                        

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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